Performance agroécologique: que peuvent apporter les nouvelles technologies à l’agriculture ?
Olivier Daugier, président de la chambre régionale d’Agriculture des Hauts-de-France, était l’un des huit invités de la conférence proposée, fin mars, par les pôles AgTech et GreenTech d’EuraTechnologies(1) sur le thème « Le défi des ressources : et si l’agriculture était notre plus grande alliée ? ». Pour lui, « l’agriculture est la première victime du changement climatique » : il lui faut préserver et si possible favoriser la biodiversité, se montrer plus résiliente, utiliser moins de produits phytopharmaceutiques et émettre moins de gaz à effet de serre (GES), tout en conservant des rendements élevés afin de produire autant - voire davantage s’il faut suppléer aux pertes agricoles d’autres parties du monde.
En effet, renchérit Rachel Kolbé, directrice du développement durable et de la responsabilité sociale (RSE) chez le groupe InVivo(2), au niveau mondial, l’agriculture produit 25 % des émissions de GES, utilise 70 % des prélèvements d’eau douce et est responsable de 80 % de la déforestation - même si le bilan est meilleur en France. Et avec le réchauffement, la productivité des principales céréales pourrait baisser de 3 à 10 % à l’échelle mondiale. Le groupe considère néanmoins que « la nouvelle agriculture peut aider à décarboner le monde et à régénérer les sols, tout en améliorant le revenu des agriculteurs, notamment via la diversification et la high-tech ».
Anne-Sophie Fontaine, directrice RSE et de la communication chez Bonduelle, note que l’agriculture doit également s’adapter aux « nouveaux modes de consommation qui se dessinent dans notre société depuis dix ans. Les consommateurs s’intéressent désormais moins aux marques qu’à ce qui se passe derrière un produit » : filière (« éthique » ou non), origine (étrangère, nationale ou locale), mode de culture (biologique, durable…), bien-être animal… Les régimes alimentaires changent aussi : il y a toujours autant de végétariens mais de plus en plus de flexitariens (qui mangent beaucoup moins de produits carnés mais recherchent la qualité) et une forte demande en produits bio. « Le « bien manger » doit devenir accessible à tous, d’où la nécessité de créer des filières de qualité et durables. De plus, pour répondre aux tendances flexitarienne et végétarienne, nous devons produire davantage de protéines végétales sur le territoire national. »
Les nouvelles technologies accélèrent la transition agroécologique
Il est possible de relever tous ces défis. Pour Rachel Kolbé, on peut produire mieux et plus pour répondre à la demande alimentaire, mais « les produits de bioéconomie ne « prennent » que si on en a besoin et qu’ils sont produits à un coût presque normal ». Selon le pôle InVivo Factory, qui accompagne les différents métiers de la filière agricole vis-à-vis de l’apport du numérique, la high-tech devrait être davantage utilisée pour tracer, informer, conseiller et, surtout, assurer la qualité, de la production au produit fini grâce au suivi de la chaîne de valeur - par exemple, avec la technologie blockchain(3). Mais « il faut, en parallèle, renforcer les externalités positives d’une agriculture durable » : ainsi, les services rendus par l’agriculteur doivent être mieux rémunérés - par exemple, via la labellisation (labels « Bas carbone », HVE, AB…), que les technologies numériques facilitent) ou la subvention.
« Olivier Daugier : il y a assez de ressources pour nourrir le monde mais aussi pour sortir du fossile. C’est une chance pour les filières agricoles, alimentaires ou non. »
Les intervenants ont toutefois identifié divers freins aux apports de la technologie. Concernant les solutions de biocontrôle et l’agriculture de précision, InVivo constate que les projets pilotes sont souvent conçus et testés à petite échelle ; cela peut tuer dans l’œuf leur capacité à se déployer ensuite à grande échelle. Rachel Kolbé déplore, pour sa part, la lourdeur et le manque de moyens communs au niveau européen, mais aussi le choix de l’Europe de ne pas utiliser d’organismes génétiquement modifiés même avec les méthodes CRISPR, qui lui font prendre beaucoup de retard.
L’agriculture peut répondre aux défis de l’énergie verte
Pour Sebatian Gacougnolle, co-fondateur de TRYON(4), la valorisation des déchets organiques, notamment agricoles, afin d’alimenter les villes en énergies nouvelles est plus que jamais d’actualité - d’autant que l’économie circulaire a le vent en poupe. La réglementation du pollueur-payeur, qui existe depuis 2016, est également incitative.
Cependant les filières de valorisation n’ont pas assez de flux de déchets ou de biomasse à vocation énergétique d’origines locales ; il faut parfois faire venir les déchets de très loin pour alimenter des méthaniseurs surdimensionnés. Pour autant, la méthanisation individuelle, si elle est techniquement viable, n’est pas l’unique réponse à ce problème, car un méthaniseur de ferme est compliqué à faire fonctionner et à rentabiliser (risques, réglementation…). Un méthaniseur de taille moyenne, regroupant, par exemple, les déchets d’une communauté de communes ou d’une coopérative agricole, s’avère souvent une meilleure solution. Ses productions (chaleur, gaz, fertilisants) doivent être adaptées à l’échelle envisagée, au territoire et aux productions agricoles locales. Ainsi, pour produire de la chaleur, inutile d’importer du bois d’une autre région quand il y a localement d’autres déchets (agricoles ou non). Et pourquoi ne pas fertiliser les champs à partir des déchets des cantines locales ?
En outre, des freins économiques persistent. Selon Vincent Guerré, président d’ENOSIS(5)(encadré), difficile de trouver en France le financement pour industrialiser des procédés agroécologiques. « Les investisseurs sont frileux car le retour sur investissement est long et moins important qu’avec l’innovation numérique. » Mais ces freins sont parfois aussi sociétaux. Il en est ainsi de l’acceptabilité de la méthanisation : « Lors des premiers contacts pour une implantation, on s’entend souvent dire : ça sent mauvais, ce n’est pas beau et c’est peut-être dangereux », précise Sebatian Gacougnolle.
Ainsi, agriculteurs et consommateurs ne sont pas tous prêts à changer leurs pratiques(6). La mesure des progrès et l’émulation seront autant de moyens de les convaincre.
(1) EuraTechnologies est un incubateur et accélérateur de startups, présent sur quatre campus des Hauts de France. Partenaire du ministère de la Transition écologique, ses sections AgriTech et GreenTech accompagnent, guident et forment au numérique des porteurs de projets novateurs dans les domaines des technologies agricoles et vertes. Plus d’informations sur www.euratechnologies.com
(2) Le groupe coopératif InVivo est devenu société à mission en octobre 2020. Ses pôles AgriTech et GreenTech favorisent la transition agricole et alimentaire vers un agrosystème résilient, en déployant des solutions et des produits innovants et responsables basés sur les principes de l’agriculture régénératrice. Plus d’informations sur https://www.invivo-group.com
(3) Cette technologie de stockage et de transmission d’informations est transparente, sécurisée et fonctionne sans organe central de contrôle. Par extension, une blockchain constitue une base de données cryptées contenant l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création. Elle est partagée par ses différents utilisateurs, sans intermédiaire, ce qui permet à chacun de vérifier la validité de la chaîne.
(4) TRYON est une société organisant la valorisation des biodéchets alimentaires, et qui déploie et exploite des solutions. Plus d’informations sur https://www.tryon-environnement.com
(5) ENOSIS est une société qui « verdit » le gaz, en recyclant le gaz carbonique des méthaniseurs en électricité et/ou en hydrogène et en produisant du méthane et de l’hydrogène à partir de déchets. Pour en savoir plus, consulter https://enosis-energies.com
(6) La question de l’acceptabilité de l’innovation a été largement abordée dans l’article « Agriculture et société : Répondre aux défis par l’innovation », Perspectives Agricoles n°465, avril 2019, consultable dans les archives du site www.perspectives-agricoles.com
Et si on recyclait aussi le gaz carbonique ?Lors du processus de méthanisation, du dioxyde de carbone (CO2) est co-produit avec le méthane par les micro-organismes. Ce GES est habituellement rejeté dans l’air, mais il pourrait être recyclé sur place pour nourrir des micro-organismes produisant des biogaz. De même, les déchets non méthanisables sont brûlés par pyrolyse dont les gaz de combustion contiennent du CO2 et/ou de l’hydrogène, également recyclables, tout comme le CO2 rejeté par certaines productions industrielles (ciment, acier…). Enfin, les surplus d’électricité produite par EDF peuvent être utilisés pour produire de l’hydrogène. Combustible mais aussi stockable, ce gaz est un équivalent chimique des batteries mais il peut être aussi utilisé par des méthaniseurs. D’où la chaîne vertueuse : surplus d’électricité > biogaz ou stock d’hydrogène > énergie verte.
La société ENOSIS a développé, avec des partenaires de la high-tech et des biotechnologies, différents réacteurs biologiques (équipements et cultures d’organismes) qui produisent du méthane de synthèse ou de l’hydrogène à partir des gaz issus des divers procédés de traitement des déchets et rejets industriels précédemment cités. Pour chaque tonne de méthane de synthèse produite, trois tonnes de CO2 sont ainsi piégées par des micro-organismes spécifiques, ce qui compense les émissions de CO2 qui seront émises lors de la combustion ultérieure du méthane. Et le gaz est produit à un prix plus compétitif que par un méthaniseur classique.
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