Outils d'aide à la décision : des solutions pour gérer le pâturage

Le pâturage représente un enjeu important pour les élevages de ruminants, mais sa gestion peut s’avérer complexe. Les outils d’aide à la décision présentés ici facilitent son exploitation et sa valorisation.

Mode d’alimentation naturel des herbivores, le pâturage est aussi le moyen le plus économe de valoriser l’herbe et de fournir un aliment de très bonne qualité. De plus, il occupe une place importante au sein des préoccupations sociétales. Les éleveurs reconnaissent également ses intérêts économique, technique et environnemental. Toutefois, les contraintes liées au pâturage - temps de travail et modalités de mise en œuvre, organisation structurelle à prévoir (parcellaire, point d’eau), nécessité d’être réactif et de s’adapter à la météo… - rendent sa gestion complexe. Des outils ou méthodes peuvent aider à valoriser la ressource herbagère des fermes, qu’il s’agisse d’herbe pâturée ou bien fauchée, afin de profiter d’un surplus d’herbe sur pied pour réaliser du stock.

Deux grands types de pâturage

Il existe de nombreuses dénominations et techniques (pâturage continu, libre, tournant, tournant simplifié, tournant dynamique, cellulaire, rationné, au fil, full grass, techno grazing…), mais on peut regrouper les pâturages en deux catégories : ceux de type « continu » et ceux de type « tournant ».

En pâturage continu, les animaux séjournent plus de 10-12 jours sur une même parcelle. En revanche, un pâturage tournant cherche à mieux optimiser l’adéquation de l’offre fourragère aux besoins des animaux en leur allouant une surface plus réduite au printemps. Cela se traduit par des temps de séjour plus courts (1 à 8 jours) et par un « circuit » de pâturage : les animaux se déplacent de parcelle en parcelle. Il est admis que les diverses techniques de pâturage se valent en conditions optimales. Néanmoins les pâturages tournants apportent plus de souplesse et limitent davantage le gaspillage de l’herbe, surtout en cas d’aléas climatiques.

« La plupart des innovations récentes intégrées aux OAD de gestion de pâturage ont porté sur l’automatisation de la prise d’information et de son transfert. »

Ce second mode d’exploitation de l’herbe nécessite plus de suivi, au moins les premières années de l’utilisation de la technique. En revanche, il offre la possibilité d’ajuster la conduite printanière aux nombreux facteurs qui régissent la pousse de l’herbe sur cette période changeante, qu’ils soient d’ordres techniques ou subis. La plupart des outils d’aide à la décision (OAD) développés s’utilisent dans le cas de pâturages de type « tournant ».

Des outils peu utilisés au quotidien

Bien que la thématique soit travaillée depuis une quarantaine d’années et que quelques OAD ou méthodes aient été développés depuis le début des années 2000, peu d’éleveurs y ont recours en routine aujourd’hui. Pour tenter de comprendre pourquoi, la quantité de travail requise pour mettre en œuvre ces OAD, leur rapidité, leur efficacité et leur simplicité ont été étudiées par Arvalis.

Les OAD étudiés se différencient par trois types de technologies : les technologies de mesure employées (au champ ou par télédétection), leur degré d’automatisation (crucial pour la réduction du temps de travail et la simplicité de mise en place) et les technologies d’enregistrement et de transfert des informations (vers d’autres OAD, des fichiers informatiques…). Au-delà des données récoltées, ils se distinguent selon qu’ils fournissent ou non un conseil, une préconisation ou toute autre orientation technique à l’agriculteur.

Parmi les OAD ou méthodes existantes, le plus basique reste le planning de pâturage (au format papier ou numérique, type fichier Excel) ; c’est un outil statique d’enregistrement du déroulement du pâturage par l’éleveur. La visualisation rapide des cycles de pâturage offre un moyen simple de calculer les temps de repousse et de situer l’année en cours par rapport à des dates clés habituelles. Toutefois, cet outil ne fournit pas d’indication de la quantité d’herbe sur pied disponible sur l’exploitation - une information pourtant cruciale pour le pilotage du pâturage. Encore aujourd’hui, cette donnée est estimée quasiment exclusivement à partir de la mesure de la hauteur d’herbe (encadré).

Mesurer la hauteur d’herbe pour en déduire la biomasse

Les technologies de mesure de biomasse englobent des outils de proxidétection, qui s’appuient sur des mesures au champ, et de télédétection, basés sur l’analyse d’images acquises par des capteurs aéroportés. Ces deux types d’outils ne sont toutefois pas aux mêmes stades de développement. La proxidétection est majoritairement opérationnelle, grâce à de nombreux travaux d’évaluation et de calibrage, tandis que la télédétection n’en est pas encore à ce stade pour la gestion du pâturage, bien que des travaux soient en cours. L’utilisation des satellites n’existe actuellement que pour l’assurance des prairies, sur l’aspect productivité, avec une résolution spatiale moyenne (pixel de 600 x 600 m).
Certains outils de proxidétection, tels les spectro-radiomètres portables, s’utilisent aujourd’hui uniquement dans le cadre de l’expérimentation et de la recherche, en raison de leur coût (d’achat, de maintenance…) et de leur lourdeur d’utilisation (encombrement, traitement des spectres recueillis…). Cette étude a donc été limitée aux outils les plus utilisés sur le terrain qui mesurent une hauteur d’herbe. Selon l’outil, ce qui est mesuré est la hauteur de l’herbe compressée (outils de type herbomètre à plateau) ou encore la hauteur vraie. Pour mesurer cette dernière, certains matériels utilisent des faisceaux lumineux, d’autres des ultrasons. Contrairement aux outils à plateau, qui requièrent de couvrir les parcelles à pied et de réaliser des mesures point par point, il est possible de disposer de ces dernières technologies sur un matériel que l’on peut tracter par un véhicule, comme le C-Dax, voire de les monter directement sur le tracteur.
Outre leur rapidité d’utilisation, ces outils réalisent un grand nombre de mesures (200 par seconde pour un faisceau infrarouge). Malgré ces atouts, des limites persistent : d’une part, les mesures restent moins précises que celles effectuées avec un herbomètre à plateau ; d’autre part, la densité de l’herbe n’est pas prise en compte, ce qui pose question quand il s’agit d’estimer la biomasse d’herbe.


En plus de servir de critère de décision pour faire entrer des animaux sur une parcelle ou les en faire sortir, la quantité d’herbe disponible est surtout utilisée pour estimer ou calculer des indicateurs dérivés tels que la croissance de l’herbe, le stock d’herbe disponible au-dessus de 5 cm (SHD) ou encore le stock d’herbe utilisable (SHU), c’est-à-dire au-dessus de la hauteur d’herbe prévue à la sortie des animaux. Le SHU entre dans le calcul du nombre de jours d’avance (JA), un indicateur plus concret (figure 1). Bien entendu, ces estimations et calculs nécessitent de connaître d’autres paramètres de l’herbe, comme sa teneur en matière sèche et sa densité, afin de convertir la hauteur d’herbe mesurée en biomasse.

En intégrant le stock d’herbe à plusieurs périodes charnières pour le pâturage, notamment au printemps, les outils deviennent semi-dynamiques, voire dynamiques, et facilitent la prise de décision (tableau 1). Le recours à un outil additionnel de type « herbomètre » reste un passage obligé pour ces OAD.

La télédétection, une voie d’avenir pour la gestion de l’herbe ?

La plupart des innovations récentes intégrées aux outils de proxidétection précédemment décrits ont porté sur l’automatisation de la prise d’information et de son transfert. La nouvelle génération d’outils de mesure de hauteur d’herbe est connectée (en Bluetooth vers les smartphones ou les tablettes, en Wi-Fi vers les ordinateurs) et géolocalisée via le système GPS. Ainsi les mesures sont rattachées à une parcelle, et les informations sont traitées presque instantanément afin d’estimer le stock d’herbe sur une parcelle, voire sur l’ensemble de la ferme.

Les images issues de la télédétection fournissent déjà des services en agriculture, surtout en grandes cultures (pilotage des apports d’azote, services d’assurance, estimation de rendements mondiaux…). Ces images sont caractérisées par leur résolution spatiale (taille du pixel, du kilomètre à la dizaine de centimètres pour les satellites et les avions, de quelques centimètres pour les drones), leur résolution temporelle, c’est-à-dire la capacité à observer successivement un même point dans un intervalle de temps minimal (compromis vecteur x capteur) et leur résolution spectrale, une caractéristique intrinsèque du capteur traduisant sa capacité à distinguer deux longueurs d’onde voisines.

Ces images servent à déterminer un indice caractérisant la biomasse du pâturage, qu’utilisera l’OAD. Ce peut être un indice obtenu par simple mesure du spectre réfléchi par de la prairie, ou des indices issus de modélisation (indice de végétation par différence normalisée ou NDVI, indice de surface foliaire ou LAI, fraction du couvert végétal…). Enfin, cet indice doit être calibré pour en extraire une information de production agricole.

Sur prairies, la télédétection semble prometteuse bien qu’il demeure encore des difficultés. Une couverture nuageuse pour les satellites (notamment au printemps, phase cruciale de gestion de l’herbe), ou un temps venteux ou pluvieux pour les drones, réduisent ainsi la qualité des mesures, voire les rendent impossible. D’autre part, la diversité des mélanges prairiaux peut rendre difficile la calibration (pour passer du spectre observé à la biomasse).

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