Désherber le maïs semence demain : qu’attendre du désherbage high tech ?
La gestion des adventices dans les systèmes de production est en pleine évolution. L’objectif ? Moins mobiliser les herbicides au profit des leviers agronomiques les plus judicieusement choisis. Dans ce contexte, les nouvelles technologies apportent aussi leur contribution. Tour d’horizon des méthodes innovantes expérimentées par Arvalis pour désherber le maïs semence.
Réduire les quantités d’herbicide en ciblant les zones infestées
Les vivaces telles que les liserons ou le sorgho d’Alep figurent en bonne place parmi les adventices les plus fréquentes et les plus difficiles à contrôler dans les parcelles de maïs semences, selon l’enquête ATS 2020(1). Espèce annuelle, le datura stramoine est également souvent présent par foyers au début des infestations. Si le chardon est moins souvent signalé dans les systèmes maïs semence, il constitue un bon modèle d’étude en parcelle de maïs consommation ; il forme des ronds ou des taches, dont la surface s’étend à partir d’un point d’infestation initial.
Pour toutes ces espèces, le désherbage ciblé (encadré) est donc particulièrement intéressant. L’herbicide est alors utilisé uniquement sur les foyers d’adventices, et l’on peut espérer alors réduire très fortement l’IFT en comparaison avec un désherbage en plein. Ces applications ciblées sont effectuées généralement vers le stade « 6 à 10 feuilles », et pourraient l'être plus tardivement, après l'écimage du maïs semence.
Pulvérisation localisée, ciblée, dirigée - quelle différence ?La pulvérisation localisée est effectuée uniquement sur le rang ou l’inter-rang des cultures à grand écartement comme le maïs. Elle est souvent couplée à un passage mécanique (binage) dans l’inter-rang.
La pulvérisation ciblée (spot spraying) consiste à appliquer du produit uniquement où il y en a besoin, indépendamment des rangs de la culture. Elle est réalisée par tronçons ou par buse selon la conception de la machine.
Quant à la pulvérisation dirigée, elle recourt à l’utilisation de pendillards et consiste à diriger le jet de pulvérisation uniquement sur l’inter-rang de la culture, pour des interventions qui se font généralement à un stade avancé de la culture. L’utilisation de caches assure la sélectivité de l’application vis-à-vis du rang de maïs semence.
De nombreuses solutions de traitement ciblé des adventices se développent. Toutes nécessitent la détection préalable ou en temps réel des plantes. La détection et l’application simultanées sont encore en phase de développement, mais une détection préalable suivie d’une application a posteriori est déjà possible. La détection peut être effectuée lors des passages précédents de tracteur. Elle permet d’anticiper la connaissance des volumes de bouillie herbicide à mettre en œuvre.
Les mesures sont prises par un ou plusieurs capteurs fixés sur un vecteur qui les déplacent. Puis elles sont analysées afin de localiser chaque adventice et, éventuellement, d’identifier l’espèce. La carte des zones à désherber ainsi établie est mise en forme et entrée dans la console du pulvérisateur afin de commander l’ouverture ou la fermeture des tronçons de la rampe. Il ne s’agit pas d’une carte de modulation(2) pour varier la dose appliquée, mais d’une carte ON/OFF(2) pour ne traiter que là où des adventices cibles ont été détectées. Ce type de cartographie est ainsi particulièrement adapté aux espèces comme les chardons des champs ou les liserons, qui se développent par taches de quelques mètres carrés du fait de leur système racinaire traçant.
Des essais de pulvérisation ciblée à l’aide d’un dispositif de coupures de tronçons très concluants
Arvalis a donc testé la faisabilité de détecter et de ne traiter que les foyers de chardons dans une parcelle de maïs, et de datura dans une parcelle de maïs semence. L’objectif était aussi de mesurer les économies d’herbicides engendrées par l’application ciblée.
Des capteurs RGB (Red-Green-Blue, mesurant les longueurs d’onde rouges, vertes et bleues) ont été utilisés pour détecter les deux espèces adventices. Ils produisent des images relativement « lourdes » desquelles il est possible de déduire la couleur et la forme des feuilles des plantes mais qui, pour l’instant, les rendent difficile à utiliser pour une détection et une application en temps réel car le temps de l’analyse est encore trop long.
Deux vecteurs ont été expérimentés : un drone en parcelles de maïs semence (la cible étant les datura) et un tracteur en parcelles de maïs (avec pour cible les chardons). Ils permettent tous les deux d’obtenir des pixels de petite taille, compatibles avec la taille des taches d’adventices présentes au champ.
Pour l’expérimentation sur chardons, le pulvérisateur disponible est un porté Maxis de Tecnoma équipé d’une rampe de 24 mètres, avec douze tronçons de 2 m chacun. Il est piloté par une console iTOP avec une correction RTK en transmission radio. L’ouverture ou la fermeture des tronçons était enregistrée par un capteur de pression installé sur chaque tronçon ; les capteurs sont reliés à des centrales d’acquisition qui enregistrent le débit instantané des buses toutes les 0,2 seconde afin de déterminer si la buse (et donc le tronçon) est ouverte ou fermée. Les mesures de pression étaient géoréférencées grâce à un GPS ayant une précision de ±2 cm.
Dans cet essai, la carte d’ouvertures et fermetures réelles des buses établie à l’aide des capteurs de pression a été superposée à la carte des zones de chardons afin de calculer la surface où les coupures de tronçons ont bien fonctionné : buses fermées quand il n’y avait pas de chardons, et ouvertes quand il y en avait. Selon la répartition des adventices, de 4 à 32 % de la surface du champ a été réellement traitée, ce qui correspond à une économie de produit de 68 à 96 %.
Dans les parcelles où le capteur a été embarqué sur drone pour détecter des daturas, la simulation d’ouverture et de fermeture des tronçons de 2 m met en avant une économie de produit de 93 à 99 %.
L’économie d’herbicide est, bien sûr, fonction du nombre, de la taille et de la répartition des taches d’adventices dans la parcelle. Plus le nombre de « petites » taches (petites par rapport à la largeur du tronçon) est important, plus la surface réellement traitée sera importante. L’intérêt de la pulvérisation ciblée est donc moins évident pour des infestations généralisées et très disséminées. Ainsi, pour une même surface totale d’adventices et à largeur de tronçon donnée, mieux vaut une grande et unique tache plutôt que plusieurs petites tâches isolées : la surface réellement traitée sera plus faible dans le premier cas que dans le second. Concernant la largeur des tronçons, une augmentation de la largeur de 2 m (passage d’un tronçon de 2 m à 4 m, par exemple) entraine une diminution de 2 % du pourcentage de produit économisé.
D’autres essais ont lieu au cours de la campagne 2021 pour confirmer la mise en œuvre de ces technologies très prometteuses en termes d’usage ciblé des herbicides.
Le semis à alignement transversal, une autre voie pour désherber sur le rang.
Si le désherbage ciblé se développe, le désherbage mécanique n’est pas en reste. Le maïs semence présente l’avantage d’être semé à grand écartement et facilite donc le passage d’une bineuse dans l’inter-rang. Cependant la gestion des adventices sur le rang reste toujours difficile à maîtriser, malgré l’utilisation d’équipements spécifiques comme les doigts Kress ou les éléments des roto-étrilles qui apportent un « plus » en binant au plus près des rangs.
D’autres technologies de désherbage entre plantes sur le rang existent, basées sur des organes de sarclage assistés par capteurs. Ils peuvent être embarqués sur des robots autonomes ou tractés mais leurs coûts les réservent pour l’heure aux cultures légumières.
Certains semoirs monograine disposent d’une technologie de semis à écartement constant sur le rang et l’inter-rang grâce à la synchronisation des éléments semeurs entre eux. Cette technique ouvre la voie à un binage dans le sens du semis puis perpendiculairement à celui-ci ; la surface désherbée serait alors proche des 100 %.
Des tests de faisabilité technique ont été réalisés entre 2018 et 2021 afin de vérifier la possibilité de synchroniser les éléments semeurs entre deux passages différés dans le temps - par exemple, lors du semis de rangs femelles puis de rangs mâles pour la production de semences. Le semis réalisé avait un écartement de 50 cm entre rangs et de 25 cm entre pieds (soit une densité de semis de 80000 pieds/ha). À la levée, le géoréférencement de plusieurs centaines de pieds de maïs dans la parcelle a permis de calculer la précision de l’implantation de chaque pied. En 2019, les résultats montraient une erreur moyenne de 2,6 ± 0,8 cm par rapport à un quadrillage parfait. Cette précision est proche de la précision du signal de géopositionnement RTK utilisé pour le semis. La synchronisation s’est donc bien passée, même si elle est contraignante à réaliser (encadré). Ces points géoréférencés permettent également de calculer le nombre de pieds qui seraient abîmés lors du binage transversal et de s’assurer que le binage est possible.
Dans un premier temps, un outil avec des dents de 5 cm a été passé perpendiculairement au semis : aucun pied n’a été arraché. Nous pouvons ainsi conclure que le binage à la perpendiculaire du semis serait réalisable techniquement. Cependant, en pratique, plusieurs contraintes restent à lever : la synchronisation des éléments semeurs reste la principale limite (en 2020, une erreur de synchronisation nous a conduit à abandonner l’essai) et les passages croisés sont difficiles à mettre en œuvre (passages de roues à gérer…).
(1) Piloté par la FNPSMS et mis en œuvre dans une large mesure par Arvalis, le programme « Actions Techniques Semences » (ATS) vise à accroître la productivité et la compétitivité du maïs semence par la mobilisation de l’innovation.
(2) Carte de modulation & Carte ON/OFF : les deux cartes commandent le pulvérisateur. La carte de modulation indique des variations de doses à appliquer. La carte ON/OFF indique les endroits où il faut pulvériser (buses ou tronçons ouverts, dose constante délivrée) et ceux où il ne faut pas pulvériser (buses ou tronçons fermés).
Principe de fonctionnement du semis à alignement transversalL’objectif dans cette technique est d’aligner toutes les graines sur la ligne de semis puis de maintenir cet alignement entre chaque aller-retour de semoir. D’un point de vue pratique, lorsque le semoir a fait un premier passage, il commence le retour sur quelques mètres. Il faut alors mettre au jour sans les déplacer les graines des deux passages de semoirs (on place alors un piquet pour repérer leur position), pour voir si elles sont alignées. De plus, il faut s’assurer que les lignes sont bien perpendiculaires au sens d’avancement du tracteur. S’il y a un décalage entre les deux lignes de semis, il faut intégrer cette information à la console qui la prendra en compte.
Si elle est simple à élaborer sur le papier, cette synchronisation des passages est beaucoup plus compliquée sur le terrain.
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