ACS : faut-il fractionner l’azote sur les blés ?
En ACS, le sol peut se retrouver temporairement avec moins d’azote minéral disponible, même si les restitutions sur le long terme sont accrues. L’agriculture de conservation des sols (ACS) se caractérise par trois piliers : une couverture permanente des sols (par des cultures, des couverts vivants et des mulchs), un travail du sol réduit au minimum, voire entièrement supprimé, et une rotation diversifiée de cultures. Ces pratiques ont des impacts potentiels sur les dynamiques du carbone et de l’azote dans le sol.
Pour éviter d’éventuels risques de manque d’azote sur céréales d’hiver, de nombreux producteurs engagés dans ce système depuis plusieurs années optent désormais pour une très forte réduction du fractionnement de leur fertilisation et une concentration des apports avant le stade « épi 1 cm ». Leur objectif est de nourrir la biomasse microbienne abondante et consommatrice d’azote et d’aider ainsi la dégradation des résidus, sans créer de concurrence avec les besoins de la céréale en cours de croissance.
Sur le long terme, les quantités d’azote disponibles peuvent être plus importantes qu’en système conventionnel. En effet, les couverts végétaux permettent de fortement limiter la lixiviation pendant la période de drainage, tout en induisant des restitutions supplémentaires par leur dégradation pendant le printemps et l’automne. De plus, l’insertion très fréquente de légumineuses dans les couverts permet de fixer l’azote atmosphérique. Grâce à ces couverts végétaux plus fréquents et présents durant de plus longues périodes qu’en système conventionnel, les systèmes en conservation des sols aboutissent généralement à une augmentation progressive des taux de matière organique induisant, sur le moyen terme, une minéralisation supplémentaire de l’azote d’environ 30 à 50 kg N/ha/an pour une augmentation de 0,5 % de matière organique.
Si les restitutions d’azote sont donc potentiellement plus importantes en ACS, la cinétique de minéralisation inter annuelle peut être sensiblement différente de celle des systèmes en conventionnel. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. D’abord, l’absence de perturbation mécanique du sol ne modifie pas la nature ou l’intensité du processus sur l’année, mais entraîne plutôt un décalage de la minéralisation au cours des saisons. En effet, elle induit des modifications de températures et d’humidité se traduisant par un ralentissement de la minéralisation en sortie d’hiver, de l’ordre de - 10 à - 15 kg N/ha. Cette différence est ensuite compensée par une plus importante humidité du sol, grâce à la présence des résidus en surface, et donc de minéralisation pendant la période de l’été par rapport à un système en conventionnel. Des variations saisonnières s’observent mais, en fonction du milieu, elles peuvent donner lieu à des différences significatives de quantité d’azote minéralisé par hectare et par an. Ensuite, la présence de nombreux résidus végétaux en surface du sol, ayant un rapport C/N élevé, favorise l’activité biologique de décomposition qui immobilise pendant ce temps des quantités d’azote minérale potentiellement importantes. Par ailleurs, l’activité biologique plus importante et le rapport C/N des résidus et du sol entraînent potentiellement l’organisation plus importante de l’azote issu de l’engrais minéral dans les matières organiques du sol, et donc une moindre efficacité de celui-ci. Enfin, la volatilisation ammoniacale est potentiellement plus élevée en système sans travail du sol, à cause de l’absence d’enfouissement des engrais, lequel est l’un des leviers les plus efficaces pour la minimiser.
Un réseau national d’essais
Pour prendre en compte les spécificités de l’ACS dans les stratégies de fertilisation des cultures, Arvalis, en collaboration avec de nombreux partenaires (APAD, Chambres d’agriculture, coopératives agricoles, négoces…) a mis en place en 2022 un réseau national d’essais (figure 1).
Il vise à évaluer l’impact de l’ACS sur les dynamiques de fourniture d’azote par les sols et la valorisation des engrais afin d’affiner les règles de décision des apports d’azote dans ces systèmes en fonction des objectifs de rendement et de qualité, du type de sol et du climat. Sur la campagne 2021-2022, quinze essais ont été implantés (quatorze en blé tendre et un en blé dur) chez des agriculteurs en ACS depuis au moins cinq ans (en moyenne douze ans) en semis direct strict sur l’ensemble de la rotation (50 % des essais), en semis direct avant culture d’hiver et travail très superficiel avant culture de printemps (25 % des essais) ou en techniques culturales simplifiées (25 % des essais). Les couverts végétaux sont dans la grande majorité des cas implantés seulement avant les cultures de printemps, les cultures d’hiver étant essentiellement précédées de résidus ou de repousses. La principale question de cette première année d’essais était de répondre à l’intérêt ou non du fractionnement en ACS. Pour cela, différentes modalités ont été mises en place :
• Fractionnement classique : apport de la dose X en trois ou quatre passages (aux stades « tallage », « épi 1 cm », « dernière feuille »).
• Tout avant montaison : ensemble de la dose X en un ou deux apports avant « épi 1 cm ».
• Avant montaison + 40 dernière feuille : dose X-40 kg N/ha avant « épi 1 cm » et 40 kg N/ha à « dernière feuille ».
• Tallage renforcé : 80 kg N/ha au tallage à la place de 40, avec réduction en conséquence de l’apport à « épi 1 cm » .
• Impasse tallage : report de l’apport prévu au tallage (40 kg N/ha) à « épi 1 cm » ou à « dernière feuille ».
Concernant la forme d’azote, ammonitrate et urée ont été utilisés dans le but de comparer l’efficience des formes en ACS. Les conditions climatiques de valorisation des apports ont été très disparates selon les sites.
Sécuriser au tallage et fractionner un minimum
Dans les conditions de réalisation des essais en 2022, il est ressorti de manière significative que, par rapport au fractionnement classique, une impasse au tallage impactait négativement le rendement du blé (- 2,7 q/ha, significatif). Il est donc préjudiciable de réaliser l’impasse sur le premier apport dans les conditions de ces essais.
Cette année, les essais ont également mis en évidence que positionner la totalité de l’azote avant montaison pénalisait légèrement le rendement (- 1,1 q/ha par rapport au fractionnement classique), mais plus fortement encore la protéine (- 0,32%). Ainsi, répartir la dose en plusieurs apports avant montaison, notamment dans des conditions sensibles à la volatilisation (formes uréiques et conditions météorologiques défavorables au moment de l’apport) ou encore mettre en réserve 40 kg N/ha pour le dernier apport permet, en revanche, de limiter ces pénalisations. Au vu de ces premiers résultats, un minimum de fractionnement des apports reste donc recommandé, au moins pour préserver la qualité et assurer une bonne valorisation des engrais.
Concernant les comparaisons entre les formes ammonitrate et urée, des résultats disparates selon les sites d’essais ont été observés et les expérimentations méritent d’être poursuivies. Ainsi, dès les semis 2022, des réflexions ont été entamées avec des agriculteurs du groupe « SCV Arvalis1» et de l’APAD (Association Pour la Promotion d’une Agriculture Durable). Outre les questions sur le fractionnement, des comparaisons entre les formes d’azote, et des modalités sur l’intérêt des apports de soufre ont été ajoutées aux essais. La réalisation de ces essais en co-conception avec les agriculteurs a pour but de répondre au mieux aux enjeux techniques en ACS et de valoriser l’expertise de toutes parts.
Partenaires du réseau d’essais : APAD ; Chambres d’Agricultures (Aube, Haute-Marne, Nord Pas-de-Calais, Somme) ; Soufflet, Vivescia, Ceresia, Noriap, Agora.
(1) SCV = Semis sous Couvert Végétal
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