Biodiversité agricole : quelles bêtes, pour quels services ?

La biodiversité s’est récemment imposée parmi les enjeux agricoles, à la manière du carbone il y a quelques années. Que peut-on en attendre et quelles sont ses limites ?
Les services fournis par la biodiversité agricole ne sont  en général pas anecdotiques

Les services fournis par la biodiversité agricole ne sont en général pas anecdotiques

Le terme « biodiversité » signifie littéralement « diversité du vivant », et nous n’en évoquerons ici que la partie fonctionnelle – celle qui rend des services écosystémiques à l’agriculture.

Les trois groupes de services majeurs fournis à l’agriculture par la biodiversité fonctionnelle sont la pollinisation, la régulation naturelle des bioagresseurs, et le soutien de la production via l’activité biologique des sols, avec des actions sur la fourniture en éléments nutritifs, sur la décomposition des résidus, et sur la structuration des sols. En France, la pollinisation est quasi-exclusivement assurée par des insectes, et d’abord par des hyménoptères : abeilles, guêpes, bourdons, etc.

Sauf dans de rares cas, ces hyménoptères représentent plus de 50 % des visites faites sur les cultures entomophiles, qui doivent être pollinisées par les insectes. Viennent ensuite (par fréquence de visites) les mouches, les papillons et enfin quelques coléoptères (ordre comprenant les coccinelles et les cétoines) et hémiptères (ordre comprenant les punaises).

Le terme « biodiversité » recouvre une très large diversité d’organismes et de services. Au champ, les prédateurs généralistes, les prédateurs spécialistes et les parasitoïdes ont chacun leurs atouts et limites pour réguler les ravageurs.

Le terme « biodiversité » recouvre une très large diversité d’organismes et de services. Au champ, les prédateurs généralistes, les prédateurs spécialistes et les parasitoïdes ont chacun leurs atouts et limites pour réguler les ravageurs.

Auxiliaires généralistes ou spécialistes ?

Les études actuelles indiquent qu’un service de régulation des adventices est fourni par des oiseaux granivores comme la perdrix ou l’alouette, par des rongeurs et des carabes. Par contre, la littérature scientifique n’est pas très fournie sur les processus de régulation naturelle des pathogènes. Côté ravageurs, on trouve peu d’études sur la régulation des vertébrés.

La plupart d’entre eux ont peu d’ennemis naturels (comme les rongeurs, régulés essentiellement par les rapaces et les renards), voire aucun, comme les sangliers. D’innombrables études ont en revanche été menées sur la régulation des insectes ravageurs. Quelques-unes concernent l’action des vertébrés comme les chauves-souris ou des oiseaux insectivores (mésanges, rougequeues, etc.).

D’autres concernent la régulation par des micro-organismes tels que des nématodes entomopathogènes, des bactéries ou des champignons. La plupart des études sur la régulation des ravageurs portent sur les invertébrés auxiliaires : arachnides et insectes. On peut schématiquement les diviser en trois groupes.

  • Les prédateurs généralistes ont un régime alimentaire très varié et sont essentiellement opportunistes. Les carabes, staphylins, araignées et opilions (également appelés faucheux) sont les quatre groupes de prédateurs généralistes les plus abondants.
  • Les prédateurs spécialistes ont un régime alimentaire spécifique, au moins pour une partie de leur cycle biologique. C’est typiquement le cas des syrphes ou des coccinelles qui, pour la plupart des espèces agricoles, consomment chacune plusieurs centaines de pucerons dans leur vie (uniquement au stade larvaire pour les syrphes).
  • Les parasitoïdes forment un groupe à part. Ils ont besoin de réaliser une partie de leur cycle biologique à l’intérieur d’un hôte, tuant cet hôte au cours de leur développement. On connaît bien les parasitoïdes des pucerons, qui produisent des « momies », mais beaucoup d’autres ravageurs sont visés par ces auxiliaires.

Ces organismes partagent les mêmes atouts et limites que les prédateurs spécialistes décrits précédemment (tableau 1). Généralistes et spécialistes contribuent en général à supprimer quelques dizaines de pourcents (et collectivement, fréquemment autour de 50 %) des populations de ravageurs. Et les auxiliaires granivores suppriment classiquement quelques dizaines de pourcents du stock semencier d’adventices.

INVERTÉBRÉS AUXILIAIRES : ils diminuent les populations d’insectes ravageurs

INVERTÉBRÉS AUXILIAIRES : ils diminuent les populations d’insectes ravageurs

Tableau 1 : Modes d’action et limites des insectes et arachnides prédateurs des insectes ravageurs des cultures.

Décomposeurs et « ingénieurs » écosystémiques du sol

La faune du sol est habituellement considérée par catégories de taille. Les organismes les plus petits, bactéries et champignons, assurent les processus chimiques de premier niveau. Ils contribuent à produire des nutriments directement assimilables par les plantes.

Un grand nombre de familles de ces organismes sont capables d’assurer cette fonction - on parle de redondance fonctionnelle. Divers organismes ont des tailles s’étageant entre 0,1 mm et plusieurs millimètres : les protistes (dont les amibes), les nématodes, les acariens et les collemboles, notamment, par ordre croissant de taille.

Les premiers vivent dans les films aqueux du sol et consomment essentiellement des bactéries et champignons. Les nématodes se trouvent également dans les films aqueux mais peuvent avoir des régimes alimentaires plus variés. Ce groupe comprend des ravageurs s’attaquant aux racines ou tubercules des plantes, mais aussi des parasites d’insectes.

Acariens et collemboles sont particulièrement abondants dans les sols agricoles : on peut trouver près de 6000 collemboles par m². Ils contribuent à la dégradation de molécules complexes et stables, entamant ainsi le processus de dégradation de la matière organique. Les ingénieurs écosystémiques, enfin, modifient la structure du sol. C’est le cas des vers de terre qui, par les macroporosités qu’ils créent, contribuent à augmenter la capacité d’infiltration de l’eau dans les sols et ainsi à limiter le ruissellement en surface. Les turricules qu’ils excrètent sont essentiellement composés d’argile, de cellulose et de lignine, agrégats contribuant à la stabilité du sol en surface.

Les services écosystémiques, ça se chiffre !

Le concept de service écosystémique a été forgé en 2005 par le Millenium Ecosystem Assessment. Ce rapport, produit par plus de 1000 scientifiques à travers le monde, a défini cette notion comme les bénéfices que les humains tirent du fonctionnement des écosystèmes.

Quatre catégories de services ont été définies : des services « support » (cycle des nutriments, formation des sols…), à la base de tout le reste, des services de production (nourriture, bois, eau…), des services de régulation (du climat, des maladies et bioagresseurs…) et enfin, des services culturels (esthétiques, éducatifs, récréatifs…).

Les services écosystémiques correspondent à une vision ouvertement utilitariste de la biodiversité, partant du postulat que si la biodiversité est rarement considérée dans les prises de décision politiques et économiques, c’est parce que sa valeur n’est pas formulée en unités monétaires. Au sens strict, on ne parle ainsi de « service » que quand ces bénéfices sont exprimés en termes économiques. La difficulté d’aller jusqu’à ce chiffrage explique toutefois qu’on utilise ce terme de manière souvent plus permissive, pour désigner des processus ou des fonctions rendues par la biodiversité.

Des services ni anecdotiques ni miraculeux

Les services fournis par la biodiversité agricole ne sont en général pas anecdotiques. La production serait quasi-impossible sans la contribution des pollinisateurs, notamment sur fruitiers. Et de nombreux bioagresseurs sont contrôlés de manière tout à fait satisfaisante par les auxiliaires, sauf ponctuellement, lorsque les conditions sont à la fois favorables aux bioagresseurs et défavorables aux auxiliaires. Il reste tout de même de nombreux cas où les pertes de récolte restent fortes malgré leur présence, par exemple avec des bioagresseurs très nuisibles.

Les leviers testés pour favoriser la biodiversité fonctionnelle, comme la diversification des bords de champs et des paysages, la réduction du travail du sol ou les perchoirs à rapaces, permettent parfois d’améliorer les services rendus. Cependant, ceux-ci restent toujours bien en-deçà des niveaux atteints par les interventions humaines (fertilisation minérale, produits phytopharmaceutiques, travail du sol) ; et ces leviers peuvent aussi s’avérer favorables à certains bioagresseurs.

Les recherches doivent se poursuivre pour identifier de nouveaux leviers d’amélioration des services fournis, mais prenons garde à ne pas placer dans cette biodiversité des espoirs excessifs.

Se former à la biodiversité fonctionnelle

Pour approfondir le sujet, Arvalis propose deux sessions de formation « Comprendre ce qu’est la biodiversité fonctionnelle pour la favoriser en contexte de grandes cultures », le 10/04/2024 dans la Meuse et le 17/04/2024 en Loire-Atlantique.
Inscriptions sur le site www.arvalis.fr/formations.

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